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Auxeméry dans le désormais

dans le désormais

              
le sac
la grotesque poche

où l’air défaille & le poumon crie –

sècheresse sècheresse

langue sèche langue stérile

langue pour fouir & ne sachant plus ferrer

langue lâche infertile passant outre sans oser

langue lâche & séchant & perdant matière & sens –

dans la suffocation tenant encore & s’épuisant
à gratter ce qui pourrait encore & se perd
& ne devient jamais

dans l’étouffement la panique pâteuse
quand les mots barbotent & s’empêchent & se désavisent –

fermeture clôture & comment percer ce sac
dégonfler cette besace de vents oiseux
de bouffées qui nient réfutent désavouent tout effort

comment déloger expulser bannir
cet ajournement cet empois –

dans le désormais
              le figement
la durée sans étendue
le temps atteint de veulerie –

haleine égarée sourd grief
incantation en attente & sans possible phrasé
mutisme-foudre
abandon renoncement résiliation –

on est là
à fouler des brumes avaler des crachins secs
sur des falaises
à moudre leur craie décortiquer ces plâtres

souffle court
masse confusion corps fardeau

œil cependant vissé sur l’éventuelle envolée

espérant le bruit d’ailes

épiant la lame au loin qui surprendrait –

on croupit là
ingrat à soi-même
voulant & refusant
par vilenie fatigue ou dérision
& cependant s’obstinant
pas différent vraiment de ce qui voudrait advenir
& de fait n’advient en rien

campant dans l’oubli qui ne saura pas finir

dans la forteresse vacante
le creux & l’expectative
l’en-même-temps

& guettant l’angle
la tournure qu’on sacrerait
l’accroc qui ferait inspirer
qui déchargerait la glotte
& délierait ce moment infini
cette permanence –

&
cependant cependant

le cependant
s’obstine

dans l’obstruction dans l’entrave une rigueur
veut poindre
échancrure dans le marasme

on conçoit quelque part
on n’a pas abdiqué ça déjoue en sourdine
ça ne s’est pas rendu

rigueur des lignes sous le flou
entames dans l’indistinct
stries & brèches

pour traverser
entrer au vif de soi
ne pas surseoir

viser l’éveil

une ponctuation désire s’installer
une phrase s’offre
un décret s’attise

en bout de course dans la grande machinerie de la lumière
il y a de cet être-ci à cet être-là
de lui à lui
une luciole qui vacille & qui va chavirer

il y a de l’indéfini
qui encombre & qui pèse
qui empêche
& désire cependant

d’ici à là le peu de tant de poids
cependant se dilue se déleste va céder

nous voici
nous-mêmes dieux muets êtres de parole silencieuse
adossés aux falaises & regardant la mer

sècheresse graciée
inédite respiration

sur la bascule entre
ajournement & sursis

voix qui s’éprouve & se risque

voix qui vient essayer

souffle patience

dilution



                                                                                                                              27/11/2017





Auxeméry. Poésie : Failles/traces, Flammarion, 2017 ; Les animaux industrieux, 2007 ; Codex, 2001 ; Parafe, 1995. Traductions, dont : Ezra Pound, Anthologie classique définie par Confucius, Paris, P-G de Roux, 2019 ; N. Tarn, Les belles contradictions, Grèges, 2018 ; R. Blau DuPlessis, Brouillons, Corti, 2013 ; E. Pound, Quelques lettres d’Ezra Pound, dans Les Cantos, Flammarion, 2013 ; N. Tarn, Sur les fleuves de la forêt, Vif Editions, 2012  ; C. Olson, Les poèmes de Maximus, La Nerthe, 2009 ; Charles Reznikoff, Holocauste, Prétexte, 2007 ; plusieurs ouvrages de Hilda Doolittle (H.D.), dont Hélène en Égypte, La Différence, 1992 (réédition prévue en 2021, chez José Corti), & Fin du tourment, suivi de Ezra Pound, Le Livre de Hilda.
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Images © Auxeméry (Sichuan + Huang Shan)
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