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Jean-Paul Auxeméry Brûlures

alligatorzine | zine



à la charogne...



à la charogne        ses suffusions
        ses lividités        ses marbrures

formes se modifiant par en-dessous
       avant l’écroulement        matières

défoncées        bouffissures        affaissements

       & nausée –

       les léopards veillent dans le fourré
       attentifs au couinement des chacals

       sur la plaine les hardes glissent au loin
       dans la poussière des jarrets & les hennissements

       la hyène croque sa pitance sur son lit de boue

       & le ramier fait la flûte, sous des palmes –

dissolvants au travail sous la croûte
       avant que la charpente cède

& ces helminthes mathématiciens

comptables des stupeurs d’agonie

des éblouissements & des vésanies

                                                 mais
       danse danse & danse-moi
       jusqu’à la fin de nos amours

       là où le souffle prend naissance

       là où le drame joue, au vocatif

       toi, dissous-toi
       dans ta lumière

à la charogne        sa vocation



chairs promises...

                                                                             pour Isabelle Garron


chairs promises à l’abattoir        carnes –

       désormais corps en creux

       gisant        plâtre sur les tréteaux

j’ai vu un jour le volcan fondre sous le poids des neiges

       lente respiration des laves sous le pied

       bulles de boue au centre de la coupe de la solfatare
       éructations sous la croûte des lèvres de pierre ponce

& vu les menstrues de saint Janvier se liquéfiant aux solstices

chairs effacées        chairs affalées        chairs lâches

       nous aurons bien mérité de nos saisons

ces gorgées de vin de cendre nous brûlent à jamais

la baie de la sirène au beau visage berce de vagues
le cœur des femmes transpirant à la voix du tambour
dont le doigt du musicien flatte & fait jouir la peau

chairs abattues        recroquevillées        corps

       qui furent fluides & aimants

       & violents        animaux



chiens de paille au bûcher...



chiens de paille au bûcher        rien        rien

       que poupées promises à consumation

       chairs lâches ossements articulations
       veulerie trahison déroute éparpillement

              ta bouche ternira
              ta gorge sera cette outre sèche
              & outres sèches seront tes seins
              comme tes reins seront
              d’outre-désir aussi ton sexe
              comme le mien, ils flétriront
              passeront fleur & tissu

le corps de Shiva danse sur le cœur de ses dévots

       nous, secs
       nous disperserons

       certitudes au vent du bûcher
       dans la grande goule d’air

lyrique foin chiennerie crépitement        rien

       que figurines sceaux sans encre signatures
       effacées saignements délivrance déraison

balles de foin que l’étincelle fait se prendre
brusquement de la folie heureuse de se dévorer



corps brûlé...



corps brûlé               corps sec
       corps de disette & corps de cendre
génies de l’air se repaissent de ses odeurs

& corps transporté        membres tranchés
       par la lame        abattis & viscères
                     dispersés
aigles & loups se repaissent de ses humeurs

& corps en vrac                      corps jeté au courant
       son sang dissout dans l’eau du glacier
graisse & chair faisant l’ordinaire des loutres & des gobies

& corps enfin caché        celé        tu        rabattu sous la terre
       ses sucs & ses jus pour les insectes & les vers

ligaments muscles & os pensent parfaitement
leur propre résolution, comme ils se sont
soumis à la dépense d’énergie nécessaire à la
fréquentation du réel


       corps nié        corps pèlerin

                     ayant joui ayant joué de tous les airs

                     mangé à tous les sillons du sol

                     forniqué à même les décombres du désert

                     les déjections        & les agates

                     roulées sur la grève par la vague



nécroses loupes gerçures...



nécroses loupes gerçures
       les corps geignent        lentement

les tissus se mangeant        leurs louanges
       décomposées        drainent        tarissent

       l’air –

       on découpera les bandelettes
        on distribuera les baumes

        toute cette fumure étant promise
        aux narines du crocodile

danse & danse l’air danse

sec & sec – dieux étanchés,

l’air danse sa danse
d’atomes vides de vie

       la mâchoire du reptile claque
       au garrot de l’antilope

       le corps du voyageur se pose
       sur le plateau du trébuchet

       la plume pèse



si tu donnes...



si tu donnes
       à manger tant d’os
              à ta chienne d’âme,

crains
       que le vautour
              ne commence son festin
                                   par ton œil gauche –


tous les trônes prospèrent dans ton ombre :

              leur vilenie les ronge

              comme ta vanité te ronge

& dans la cuvette ouverte au ciel sur le tertre
un sac de pierres est un oreiller –

                            des graffitis insultent les murs

                            exorcismes sans efficace –

       mais griffonne, si tu peux, toi

       un peu de la légèreté du vent sur le sable



arrête, scorpion...



arrête, scorpion, va
       te nourrir de rats

va grignoter
       les os du chat pourri

moi, je suis porteur de la parole
       j’ai la flamme dans la bouche

       sur la scène où tout se fond
       ton bras ton buste ton sexe & ton dos

       ta carcasse construit l’espace
       où il te faut disparaître & t’effacer

                                   ayant tracé
                                   les signes
                                   visibles
                                   de ton
                                   identité

arrête, scorpion, arrête
       ton venin n’est rien

va dévorer d’autres corps que le mien
       celui-ci bloque la porte

       les ruines dans les interstices du temps
       abritent cette nichée de soucis & de dieux sales
               – blattes, bousiers, lucanes

toi, scorpion qui vis sous la pierre
       tu n’es rien toi-même

& va dissoudre d’autres corps, va

ce corps que voici, c’est le mien
       il est derrière la porte
              il refuse d’entrer

       j’ai tracé les signes
       j’ai la flamme sur la langue
       je vomis le venin

Ces poèmes font partie d'une suite qui portera le titre de Animaux industrieux, à paraître chez Flammarion.

This material is © Jean-Paul Auxeméry

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