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Jean-Paul Auxeméry X / Y

alligatorzine | zine

La tête du cobra se guinde & lâche
son écume crachat
       mon œil brûle

                               Codex

Je ne conçois plus désormais l’usage de la langue qu’en état d’étranglement.

L’âge de l’industrie humaine a seulement inventé diverses variétés de crasse.

Le déchet est devenu l’adorable objet de culte d’un temps de pandémies.

Tu crois saisir une respiration, tu te brûles le poumon, tu dilues des germes.

La mort adorable fait sa catin, les courtisans s’empressent.

Cette gorge se soulève, et c’est un sac.

Tu mâches et remâches du carton d’emballage.

Au marché du réel, on rencontre d’abord cette suie.

Aller voir cependant, traverser le paysage, vite ; fouir là-dedans, patiemment, sans répugnance.

Se lire comme on lirait un autre – mais un autre si lointain qu’absolument hors-champ.

Dire et faire savoir que cet éloignement n’est pas, surtout pas, faute de présence.

Tout le champ du possible, dans la distance même. Postulat.

Sous les mots, donc, une vérité couve, c’est certain. Les mots jouent le destin de l’être.

En étendue comme en profondeur, définir, dans la fabrique du réel, les axes dont forces et exposants sont porteurs.

Parcours du corps lisant et marchant, dans le processus de l’apparition et de la disparition des choses sous les mots.

Le réel, la chose humaine, au crible de ses propres affects, selon sa fréquentation de la réalité du monde – exploration en creux, couverture en amplitude.

Pesée du corps, et dépôt du corps pesant.

L’autre est celui qui va vers sa perte, ainsi. Le rejoindre dans sa mort. Enveloppé de ses linges, et bandant.

Concrétion verbale. Cession séminale, don gratuit – éjaculer, parler – marcher, mourir, jouir, disais-tu.

Le parcours du corps voyageur suit le même trajet que celui du corps écrivant.

Sur la pente du sens, s’enfanter là comme là.

Signer ce parcours, de la disparition à l’émergence. Boustrophédon, aller-retour sur soi. Labour, blessure au flanc, sang des menstrues de la terre.

Terrace Bay, lieu de nulle part sur la côte namibienne, au bout d’une langue de terre abrupte, entre désert, et courants glacés.

Là, sombrent navires drossés sur les récifs, échouent cadavres d’animaux rompus, passent survivants.

Nulle rémission, ni halte, ni fantaisie : on se repaît de soifs, on se nourrit d’exténuements.

Air sec, très sec, et que des brouillards saturent au matin – d’où cette vie lente, et durable.

Cette vie d’après les rites, au bord du renoncement.

Au centre pourtant. Au seuil comme au centre.

Détritus engendrés par cette vie même – là, le réel, à faire advenir :

              ... siégeant à ma table de travail, moi
              corps lavé par le bain de sel
              dans le nid d’excréments
              dans la demeure première.

Ou encore, ceci :

              En travail d’écriture & dans la gueule du chacal
              occupé à dépecer – chair à vif & frissonnant
              sous la dent, paquet de muscles roses écharpés.

On ne naît à cette vérité qu’en ayant parcouru, dans le ressassement, l’abandon, l’aspérité, orients et occidents multiples.

S’obstiner, fouir là, ou là. A s’écorcher genoux, coudes, et regard.

Creuser l’écran, la pâte de la glaise.

Phacochère à la glandée, sous la couche de latérite, une pépite.

D’un même mouvement, l’écriture. Qui conclue. Et ne ferme pas.

Au revenir de randonnées au mitan de l’espace humain, où l’on a consulté empreintes, fèces et pissats, grimaces sur les masques, traits des animaux subtils qui travaillent la conscience, sous les masques.

Feulements sous le couvert, carotides tranchées, transes essentielles.

Meurtres, accomplissements, fuites, repos, lisibles dans les traces laissées au bord des pistes, dans la configuration des ruines...

Sur l’invariable pivot. Où l’histoire fait signe, où le fonds bestial dépose.

Combat des mots ensuite, entre eux. Pour investir la page, le paysage recomposé.

              ...Le point d’application de la parole poétique
              suit la ligne de sens des corps appliqués
              à la lecture des accidents du monde...

Quand le dépôt sera parfait, lorsque le poids des choses aura lesté le mouvement de l’être –ensemencements, alors.

Ta seule vérité, parier sur la fin.

Résider dans ton propre effacement.

Disparaître, situer les points d’impact où le réel a chance d’advenir.

Scansion de la ligne par le souffle, brisure imminente et permanente du phrasé même, vertige, et syncope.

La note bleue, disent les souffleurs, artisans de l’improbable, ou les contrebassistes, affairés à la mise en joie de l’âme même de leur instrument.

Et travail de saturation, oui.

Où la parole mime les modulations de la chambre d’échos.

Où l’on n’existe que dans des passages – traitement des figures par dissolution et coagulation.

Où l’on inaugure des procédures de plagiat, où l’animal apprend à résonner, à bruire, à mâchonner du sens.

Afin de creuser la matière historique, où le désastre prospère :

              Nous serons devenus des mots, des sons, des craquelures,
              des essoufflements. Des fissures dans l’étoffe,
              des légendes sans plus aucune foi – œuvre faite.

L’être gît dessous, ses traits véridiques se lisent dans l’envers de la coque de bois de l’appareil du masque.

S’identifier, donc, et que la face charnelle colle à la face inverse du dedans.

Lézardes, crevasses, fentes : faire l’iguane sur le rocher ; sonder les eaux, salamandre.

Dans l’œil du fauve, mesurer la distance qui te sépare de toi-même.

Dans la bauge du porc, boire cet élixir : boue, matière, substance.

Sur la plaine, faire le guetteur. Se surprendre.

              ...je surveille mes proies dans l’ombre        je tiens le fil
              moi-même proie &
devenir-image
              lumière s’inscrivant sous le rideau d’ombre,
              double
moi, feu moi, miroir aveugle & clair.

X / Y : axes, et signes chromosomiques, tout autant – ils se croisent en ce lieu où notre labeur dépose.

Où la trame opère et transforme, où les souffles portent et tracassent, où l’intrigue vraie se noue.

Où l’animal rend gorge, et se fait clair, dans l’obscur de l’humain.

Constructeur des voix, sur la face inverse du masque.

A la toute fin des pérégrinations, au fond du gouffre, dans la suffocation.

A la table de travail, écran se vide ; lignes se creusent ; échos s’engendrent.

Axes vifs, où le réel inscrit ses variations – amplitude, intensité, résonance.

Assiste maintenant à la dérive de ton corps sur le courant.

Le dieu enfant n’a cessé de jouer au bord du fleuve.

Voyant du dedans. Lecteur de l’étendue.

A l’établi – la vague.



Avril 2006


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