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1.
Le livre est une mine
de croisements. Marges.
Ses bords intérieurs, un calembour sur charnière.
Le livre survit
par poussée et emboîtement,
lien et manque,
sujet et réponse
déclaration et perversité.
Les charnières sont futées, vis qui permettent la circulation par degrés. Un livre bascule; il tient les portes en place pour les faire ouvrir. Comme la page, un brouillard frais glisse le long de la montagne.
§
Le livre est une mine
de croisements. Déclarations.
Epaisseur implique combustible.
Les étincelles mettent le feu et brûlent les mots.
La flamme du livre peut même flamber à son tour.
"Nous voici ahuris devant notre destin ..." Peut-être bien qu'il ne faut plus de poèmes, seulement des actes d'écriture. Il n'y aurait plus de livres mais des points de transferts; pas de pages terminées mais des sites de travail. Il n'y aurait plus de palmarès, car il ne font que fliquer avec tout le poids de l’opinion, les moindres bévues que l'art puisse produire. Il y aurait des questions et d'autres questions par dessus. Plus d'illusion sur l'usage instrumental ni de rhétorique à planter le décor ou les ruches. Il n'y aurait plus de rite. O, ce serait très austère et exigeant; o, ce serait infiniment interprétable!
2.
Voici une seule page embrouillée qui revendique un titre.
Ses interfaces du trou au tour, de mort à émoi
Semblent dialectiques mais fonctionnnent dans une structure
Dont le terme top, je t'épate, m'échappe.
Je ne sais que faire, ni comment l'articuler.
Pointillés, mes pieds de marche me font mal
J'ai les oreilles bouchées par la cendre de charbon
les yeux enfoncés
comme des réfugiés
en exile d'illusions d'un autre monde
ainsi que d'illusions de transcendence.
Laissons la tête cramer dans son malheur.
Mais ce ne furent que des illusions!
§
Voici une autre page embrouillée qui revendique un titre:
Les interfaces entre trou et tour, mort et émoi
Ne font qu’égratigner l’embrouille l’exposé
Etant si complexe.
Ça te surprend à ce point ?
J’ai sauté dans un train sans vérifier les horaires du retour.
Ni de rien. Dehors, l’obscurité et personne n’annonce les stations.
Le présent est défait. Indéchiffrable. Le future engourdit.
Où sommes nous ? L'Alliance? Je vois bien qu’elle est rompue.
Regarde on vient de passer l'Arche dispersée!
3.
Les gravats sont toujours devant moi.
Silence du train en panne.
Il gît dans son ombre propre; le jour circule.
Est-ce bien où on va ?
Du côté gouttière, ma marge brisée.
Ni la petite aiguille
Ni le raccord gluant du parchemin
Ni le savoir des études textuelles
Ne peuvent le réparer ni le relier.
La page tombe à terre.
§
Les gravats sont toujours devant moi.
Silence. Le train en panne
bloque le tunnel noirci,
rupture de caténaire.
Trempée, ma vie, passée à se demander
était-ce important? Ça en valait-il la peine?
Qui a dévissé ces charnières? Qui profite
d’une telle résistance au tournant. Pourquoi bloquer
les issues d'un côté à l'autre? A la compréhension.
"Qu'est ce que ça peut te faire?" Je veux dire histoires,
Il existe des choses qui me médusent et qui m’atterrent tant.
Faut-il que je fasse quelque chose que je ne fais pas ?
4.
Tout d’abord, arrive à la gare d'embranchement
hors service depuis un moment, quasi sans nom.
Des lettres floues fatiguent la vue:
sgraffitto égratigné, le contraire du lisible.
J’ai entendu parler des rails fantômes
sous les stations ferroviaires,
où les voyageurs fantômes
attendent d’embarquer.
-ston -ville -tola
-ash. Les blancs des Demi Mots
sont délivrés des halles
aux cartes à demi effacées.
§
Tout d’abord, arrive à la gare d'embranchement
hors service depuis un moment,
quoique dans l’espoir de voir quelqu’un
dans l’espoir qu’on t’attend, qu’on vient te chercher.
Vinrent les bonjours muets des soldats
mais je ne m’attendais pas du tout à voir
cette "métaphore" donc chancelante,
vertigineuse,
j’ai trébuché sur le cœur d'aiguille et les rails
envahis d’herbes folles.
Jour et nuit, nuit et jour
ostinato continue têtu
dans une autre langue.
Mon cœur logé dans un panier.
Ou peut-être dans un passeport.
J’ai fantasmé
que je le portais avec soin dans la forêt.
5.
Regarde! Là, j’ai les mains gravées.
Les lignes de mes paumes peuvent se lire comme des lettres.
Dans notre écriture H
sur ma main droite
Acca acca acca
Ache et hache
deux verticales plus une ligne de force
zygomatique,
un simple lien
une jolie aspirée
l’air qu’on expire comme un haut-le-cœur,
aussi fort qu’un soupir mais plus ironique.
Sur ma main gauche π
quelque chose sans fin qui disparaît tout droit dans l’univers
à l’infini, avec une joie comique bien que numérale.
"Eclipse" est lié au mot grec qui signifie
abandon,
encore qu’on ne soit pas tout à fait orphelins
plutôt des points de conscience
percés par des points de lumière pulsée
aussi loin que ceci
aussi près que cela.
§
Regarde! Là, j’ai les mains gravées
qui s’ouvrent comme un livre.
Etant donné la texture du besoin et la paralysie des motivations,
étant donné ce qui pourrait advenir en toute justesse,
le journal s’arrête brusquement mais sans tourbilloner
comme au cinéma; il se replie dans une bouffée d’air aspiré
et se plaque contre une barrière
et ne s’envolera pas quelque soit la direction du vent,
qu’il soit fouetté, tronqué ou tordu.
Ce poteau était comme la vis de charnière.
Ce journal comme un livre, lié et délié à la fois.
Il était fermé mais il pourrait bien comme la paume et le psaume de l'écrit
être ouvert, être envisagé.
La première phrase t’apprend à lire; la seconde suit la surface. Troisième et te voilà partie; puis tu arrives nulle part, pour voir ce que ce "rien" va produire. Supposons que tu ne puisses pas faire demi-tour? Supposons qu’il n’y ait pas de retour? Alors c’est le poème qui malgré tout revendique les entrelacs et l’espoir vif de la charnière. Car on dira parfois qu’il y a un pivot. Pourtant parfois il n’y en a pas.
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