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à Raphaëlle & Julien
I
mais
mais que disais-tu
sur le parvis de Phaistos ?
c’était un flot de paroles muettes
des vagues de silences transparents
sur la dalle à l’orée du théâtre
face à la plaine d’oliviers aux syllabes grises
avec ce soleil, comme un point :
interrogation sans autre substance
que la toute-présence de ce point-là
ou affirmation clouée au ciel,
la plus insoluble des questions
& l’Ida, la montagne sainte à l’arrière-plan
qui nous grommelait quelques borborygmes,
par bouffées de rots, un orage, encore :
grandes draperies de nuées ronflantes
animées d’autres voix que celle du dieu de l’antre
accouplements
de voix de pierre brute & de remugles
d’écuries d’un avorton nourri de lait de chèvre,
des colères d’enfant sale aimant ses puanteurs
avec la voix limpide d’un autre que toi
& qui te ressemblait & s’effaçait
que nous disais-tu donc,
toi, déjà disparu à toi-même
déjà devenu fil lisible au fil des temps
corps réduit à ton regard sur les choses
cœur clos déjà, mais sentant la vie
là
en ce qu’elle à cet instant-là
tenait d’immobile & de préhensile
oui, que dire, toi déjà absent de toi
que disais-tu, néant de toi, déjà ?
II
rien
rien qui ne soit poussière
& cette lumière
elle-même semblable à elle-même
autant que toi si semblable à ton reflet
à ton absence à toi-même & transparence
cette lumière qui polit les décombres vides
& ton regard porté sur la Messara,
plaine immobile sous le ciel immobile
& poussière des siècles, oui lustration
baptême blanc, dieux absents
& aveugles & aveuglants
grande lessive de lumière sur le fil des temps
tu entres certes dans cette solution d’acides secs,
tu es chair vive, & sèche cependant
tu ne t’appartiens pas, tu n’as rien qui soit d’être
tu auras certainement rejoint ton élémentaire état d’atome
dans l’infinie minute qui va suivre cette condensation
au-dessus de la plate-forme de Phaistos
& les aigles crient & l’air se creuse
sur ta trajectoire tu croises
cet air lent & respirable
cet air minéral comme toi
que gravement remuent les rémiges des oiseaux
III
l’ivrogne, toi
là
sur la dalle de pierre brute
sur le dépôt de temps
sur l’arrête vive où l’air sec
défie les nuées descendues de la montagne
il s’enivre de ce soleil
il a trouvé son équilibre de pochard séculaire
& la juste balance entre affirmation & décomposition
entre fable & réel
& ce trait de clarté sombre & définitive qui le crée
le fait se tenir ainsi
en suspens
tout concourt à délimiter en lui le cercle des certitudes
& terminer :
l’air vacille
en suspens
l’homme ivre & l’air qu’il respire sont
de source sûre
& leurs fins
identiques
table rase
IV
puis l’orage, oui
la cataracte alors
a effondré le ciel
ta vie depuis tes origines
est fonction de ces giboulées
tu n’écris bien que sous l’averse,
l’ironie de ces déluges
on n’a plus vu que le mur d’eau sale dégoulinant sur la création
les ravins se sont gorgés de gravats, les fossés de détritus
rigoles abondantes en deuils, en germes morts
sur le bord de la route, dépotoirs en furie
toute la montagne a dégueulé ses caries et ses phlegmons
vers les gorges, à Omalos, le ciel
a épousé la pierraille
(feux follets
sous les phares, ce sont les yeux rouges
des brebis qui ont établi leur dortoir
sur le macadam inondé
la farce encore une fois, qui se joue
sur le théâtre où les ombres viennent manger
la laine sur le dos des vérités premières :
va maintenant te tremper
dans le ruisseau de boue
tu n’en auras que plus de mérite
à reprendre souffle, poumons
nettoyés par la vague
Si tu te couches ici, sache que ton dos, tes côtes & tes reins
sauront aussi te rappeler qu’il n’est d’aurore dans le ciel
qu’à proportion des brassées de nuit violente qu’il t’aura fallu digérer
crache donc, vide ta bouche des scories
lave les égouts du ciel qui t’encombre
reviens une fois de plus sur la dalle
où ce soleil cuit & recuit les dépôts de temps
V
lâche, lâche
la lame du couteau sur la gorge du bélier,
splendeur
que ce sang noir !
penche, penche
la tête sur la fosse
ayant ouvert le ventre des arrogants,
le voyageur descendit au cellier avec les servantes
s’enivrer de vin râpeux, et les servantes lavèrent
le sang sur son corps, et il reprit sa barque,
après avoir honoré l’épouse, et la terre où il naquit,
et tranché tous les fils
double fidélité
la fosse est ouverte, la fosse est ouverte
les ombres depuis là-dessous marmonnent leurs vanités
disent leur compte d’évanouissements, d’impossibles possibles
les herbes montent par brassées obstruer leur bouche
des animaux très lents viennent composer le théâtre
que la lame du couteau a dessiné sur le ventre de la caverne
& toi, tu vas descendre te baigner à ton tour
tu vas te jeter du haut du promontoire,
ridicule ballot de sang ivre, sac de vents
avec la mer d’Afrique dans le fond du tableau
& de grands pans de sable à l’orée des savanes
& ces sources & ces reposoirs pour les migrateurs
retour du nord, portés par des aurores
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