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Nathaniel Tarn La production poétique : Le lyrisme en état de siège
et une topographie de l’espoir

traduction en français: Auxeméry

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Conférence dans le cadre de la série History & Forms of Lyric,
Colloque tenu à l’Université de Chicago, le 1er mai 2012.


Dans un livre intitulé The Embattled Lyric: Essays and Conversations in Poetics & Anthropology [« Le lyrisme en état de siège : Essais et Entretiens concernant Poétique & Anthropologie »] publié en 2007 à Stanford, j’ai proposé un modèle de production poétique, dont je voudrais aujourd’hui tenter de mettre quelques aspects en avant. N’ayant pas pris la parole dans cet auguste cadre depuis soixante ans, je suis très reconnaissant de l’occasion qui m’est donnée de le faire. Mais, pour commencer, j’aimerais préciser qu’il ne s’agit pas là d’une intervention à caractère universitaire stricto sensu, que cela ne réclamera aucun savoir prêtant à interprétation, mais qu’il ne faut y voir qu’une tentative de présenter quelques expériences personnelles de pratiquant, dans le labeur de création d’une Poésie Lyrique. Il s’agit là, selon toute probabilité, de quelque chose de fortement sous influence. Il s’agit probablement d’un essai éloigné au possible de toute nouveauté, de toute lettre morte, ou de quoi que ce soit d’exhaustif.

Ce que je veux faire aujourd’hui, c’est vous parler de l’Espoir dans son rapport avec la Poésie Lyrique. De l’Espoir et de son absence – de l’Espoir en situation de Désespoir.

Dans The Embattled Lyric, je plaidais pour une poésie de pure quintessence, en tant que pure incarnation de l’Espoir, en partie à cause de son absolue solitude, à mes yeux, en ce monde, et de son absolue non-importance. Je développe cette idée en relation avec l’absolue liberté, l’absolue indépendance inhérente à la décision de poésie, le Fiat, cette dimension de la création telle qu’on la retrouve décrite dans toute genèse. Nous sommes simultanément ici dans un domaine qui peut se lire aussi bien comme Mythe que comme Histoire – ou les deux ensemble. C’est un vaste sujet qu’en une occasion comme celle-ci, je ne veux aborder que selon deux points de vue : celui de la théologie, celui de la neurologie. Tout d’abord cependant, puisqu’il n’est pas question ici de Théorie, mais d’Auto-anthropologie, permettez-moi de parler de moi un instant, et de dire un mot d’un aspect particulier de ma vie récente.

Jusqu’à il y a deux ans et d’aussi longtemps que je me souvienne, j’étais occupé par la recherche d’une sorte de sens ultime – une forme de « spiritualité », si vous voulez. Un intérêt de longue date pour les écrits ésotériques de toutes sortes et pour le phénomène connu sous le nom d’initiation ; durant de nombreuses années, cet intérêt se portait sur le Bouddhisme Mahayana, d’abord sous sa forme Zen, plus tard sur le Vajrayana. Et puis, il y a deux ans à peu près, au cours d’une promenade du matin, j’ai soudain eu la sensation que tout cela s’éloignait brusquement, à la façon d’un vêtement dont on n’aurait plus besoin. Il m’a semblé depuis lors que toutes les religions, tous les systèmes religieux et les pratiques religieuses, sont en fin de compte le résultat de tentatives destinées à traiter l’universelle peur de la mort. La peur de ce que j’appelle « le néant du rien », puisque le mot « rien » en lui-même n’a rien de compréhensible, précisément. Finalement, j’en suis arrivé à voir toutes les institutions religieuses établies – et par dessus tout les religions issues d’Abraham – comme nocives lorsqu’elles agissent sous les espèces d’une forme autoritaire de contrôle, statique et sans fin, du culte, et quelle que soit le possible pouvoir de leurs fonctions de réconfort. Un pessimisme ultime concernant le destin du genre humain lorsqu’il est aux mains de tels pouvoirs d’autorité, relevant autant de la politique que de l’économie, m’a fait devenir ce que j’en suis venu à nommer un « terminaliste ». Non pas, bien entendu, armé du : « Repentez-vous, la Fin du Monde est proche. », mais plutôt argumentant ainsi : Étant donné la voie que continue à suivre l’humanité dans son comportement envers elle-même et envers la Nature, et en dépit de nombreux efforts méritants pour enrayer le flot négatif de la marée, il est plus que probable que le genre humain en finira avec lui-même dans un avenir qu’on peut déjà prévoir et, en tout cas, bien avant la fin de l’existence de cette planète.

À ce stade, bien qu’on puisse me faire le reproche d’estité (1), d’ipséité, d’immanence, et en dépit des consignes fondamentales d’à peu près toutes les philosophies séculaires ou profanes – autrement dit, « mène ta vie dans l’instant et nulle part ailleurs et en nul autre temps » – je persiste à penser que la question du « pourquoi ? », du « pour quoi ? », reste foncièrement incontournable. Tout divertissement étant absolument écarté, la question de la production d’Espoir sous forme de poésie semble s’éloigner à une distance incommensurable, et dans la totale aliénation. En termes plus simples, comment et pourquoi un être humain pensant continue-t-il à espérer activement lorsqu’il se trouve en situation d’absence de toute possibilité apparente d’Espoir ? Lorsqu’on a vécu, en tant que poète, plus longtemps dans la mort que dans la vie ? Lorsque le fait d’être poète aussi pleinement que d’être un être humain consiste à être de multiples façons déjà mort ? Je reviendrai donc plus loin sur le personnage d’Orphée en tant qu’archétype du poète-visiteur revenu d’entre les morts.

Préalablement, je veux rappeler que le modèle que j’ai présenté dans le livre de Stanford proposait trois aspects majeurs, trois loci, pour le poème nouveau, pour la production d’une Poésie Lyrique, telle qu’elle se dégage de la somme des poèmes auparavant créés, cette somme constituant l’Opus. Au principe de la production, ces trois loci sont : le Vocal, le Choral et le Silence. Je soutenais alors que les deux premiers sont diamétralement opposés en tant qu’illusions l’un de l’autre, en ceci qu’il est impossible pour l’esprit, lorsqu’il s’engage intégralement, intensément, dans un seul de ces loci, le Vocal ou le Choral, d’envisager même, voire d’accepter seulement l’existence de l’autre. À mesure que progresse le poème, l’implication se relâche dans son intensité, les loci en viennent à se rencontrer et même à se fondre, et alors, comme nous verrons, la chose elle-même en est changée. Le troisième locus, le Silence, est le locus en lequel les deux premiers peuvent au bout du compte se rejoindre sous des formes variées, de façon à permettre la naissance effective du poème. Cette réunion tactique peut survenir pacifiquement ou bien prendre l’allure d’un combat. La combinaison implique aussi – pour moi elle implique évidemment presque toujours – la formation d’un point instable que je nomme l’Idylle – dont je vais bientôt traiter un peu plus.

Le ou la poète aborde sa tâche avec le Vocal. C’est alors précisément que ce Vocal est entièrement consacré à la création du poème ; entièrement égo-centré et entièrement en compétition avec tous les autres poètes qui sont, ou pourraient être, en train de créer des poèmes dans le même temps. Je souscris peu à l’Angoisse de l’Influence des prédécesseurs, celle des poètes de la génération d’avant, telle que la décrit Harold Bloom, mais je ne vois là plutôt que compétition et conflit intra-générationnels. Chacun des aspects désagréables de ce qu’un critique croit que j’ai appelé le « pobiz » entre, en quelque façon, dans la catégorie du Vocal. Je vois le poète avoir confiance dans le Vocal, mais être aussi anxieux des possibilités du poème. C’est là que le poète portera son regard vers l’arrière, vers l’Opus, tout en essayant de prendre la mesure de l’ampleur que cherche à atteindre le nouveau poème en suivant les traces des poèmes antécédents – et tout en conservant, dans le même temps, la possibilité de créer quelque chose de nouveau.

À mesure qu’avance le poème, pourra survenir une épreuve importante, que j’ai nommée l’Idylle, au moment où le poète fait l’expérience – que j’ai faite, et je rappelle qu’il s’agit ici d’un exposé tout personnel – d’une idée forte, d’une conviction, que la poésie ne peut endiguer. C’est ici que la signification de la poésie ininterrompue de Paul Éluard (j’ajoute poésie sans possibilité d’interruption) se fait sentir. Littéralement, le poème, le Processus poétique, pourrait se poursuivre encore et encore. Ceci est également en relation avec la place qu’occupe la Prophétie en Poésie et, sans doute, avec l’intuition selon laquelle, dans l’acte de création, le poète peut devenir un « autre » (le je est un autre de Rimbaud). Puisque l’Espace-Temps se trouve masqué dans l’Idylle, il est parfois possible que le poète sache et puisse par conséquent provoquer l’émergence dans le poème d’un certain état futur de la réalité, ou bien de la résolution d’un problème. J’en reparlerai plus loin, lorsque j’en reviendrai au thème de l’Espoir.

Toutefois, ceci : puisque tout Processus est voué à s’achever en Structure avant d’enchaîner sur le Processus suivant, l’Idylle, tel Janus, est à double visage. J’ai souvent eu le sentiment qu’il y a là quelque chose qui se rapproche de la représentation de l’épilepsie, telle qu’elle a été dramatiquement décrite par, disons, Dostoïevski – où il existe cette sensation qui veut que l’épileptique possède le monde et que toute connaissance s’effondre dans l’effacement où sombre, à proprement parler, l’épileptique. Car c’est précisément au point où l’Idylle atteint son pic, là où on pourrait parler, de nos jours ce serait avec ironie, d’une sorte de, ou de Ravissement – là où le poète sent que le poème ne peut trouver de fin, que le poème est prêt à dévaler vers sa phase finale et prend place dans l’Opus, lequel dès lors comptera un poème de plus.

APARTÉ/{N1} : J’aurais souhaité qu’il soit possible d’en discuter, en relation avec les conclusions de Giorgio Agamben, dans La fin du poème (2), son essai inclus dans le livre qui porte le même titre, ou avec l’idée de Walter Benjamin selon laquelle « toute œuvre complète est le masque mortuaire de son intuition », mais il nous faudrait un séminaire entier. L’équation majeure dans une telle occurrence serait la fin du poème zen en tant que mort-en-vie pour le poète.

Ici donc, sur la question de l’Idylle, le poète a des chances de se trouver l’esprit divisé et de réintégrer quelque peu, pour s’y égarer ou pour se battre, le locus du Choral. Notez tout d’abord que mon Choral s’apparente, mais sans lui être identique, avec le concept de Khôra tel qu’il est ébauché chez Platon (3), et que suivra une certaine ligne de philosophie dans le vieux continent. Par Choral, j’entends un lieu dans lequel la focalisation-sur-soi du Vocal vient interférer avec un sens impérieux du collectif. Le collectif, dans lequel nous pouvons reconnaître, par exemple, le Symposium of the Whole [« L’Assemblée du Tout »] de Robert Duncan (4), recouvre ici non seulement toutes les autres manifestations du Vocal chez les poètes qui travaillent dans le même cadre temporel, mais toutes les individualités de la société au sens large, aussi bien que les manifestations passées, éclairées pour la plupart, des morts, autrement dit de nos ancêtres. Cela implique une reconnaissance du puissant air de famille de tous les Opera produits dans le même cadre temporel, de l’idée que, fondamentalement, nous sommes tous en train d’écrire le même poème à moment donné et peut-être même dans le temps en son entier.

APARTÉ/{N2} : Le temps m’étant limité, je voudrais cependant ajouter ici des considérations tirées à la fois de l’anthropologie et de la poétique, sur les valeurs fonctionnelles de la communication avec les morts. Car la plupart des sociétés indigènes, dites Premières, reposent sur des contrats passés avec les ancêtres – et de nombreux comportements, ainsi que la plupart des relations sociales, sont basés sur ce modèle.

À ce stade, il faut penser que le ou la poète a aussi accès au Silence (bien qu’en fait il ou elle puisse tenir ce cap tout au long de sa production). Remarquez que je parle du Silence, plutôt que de Silence pur et simple. C’est parce que, dans beaucoup ou la plupart des œuvres critiques dont je me tiens au courant, l’idée revient à satiété, que, foncièrement, le Vocal résulte du silence proprement dit et s’en retourne au silence. Mais il y a toujours quelque chose en-dessous, ou à côté, du Vocal. Je vois par conséquent le Silence comme le lieu dans lequel l’Idylle a le plus de chances de se produire, mais qui peut être atteinte à tout instant où le/la poète peut désirer communier avec elle/lui-même et prendre les décisions les plus importantes, les plus informées possible, décisions qui concernent la direction où le poème s’est engagé, s’engage ou va s’engager. Il est probable que le Silence est le lieu où les revendications du Vocal comme du Choral sur le/la poète reçoivent examen, où l’intégrale participation de l’un ou l’autre est délaissée, et où une forme d’équilibre se trouve réalisé, si le poème doit aboutir.

Vous pressentez sans doute que, pour moi, le Choral est le plus important des trois loci, en ceci que la société ne peut subsister sans quelque soubassement de collectivité, aussi trivial, aussi misérable qu’il puisse paraître à tel ou tel moment de l’histoire humaine. Voilà qui est en relation avec une de mes plus anciennes croyances – à savoir que plus on creuse profondément dans la véridique voix individuelle, plus cette voix se fera collective, dans sa nature et ses implications, après chaque échec, comme dans les mythes orphiques, pour sauver Eurydice. Remarquez bien entendu que mis à part le fait qu’on peut considérer l’auteur comme produit tout autant que comme producteur, j’ai toujours trouvé que quiconque nous parle de « la mort de l’auteur », toute théorie critique qui refusait à la voix la caractéristique d’être le principal producteur de poésie, étaient, pour le dire franchement, irresponsables et inacceptables. J’ai toujours perçu que la marque du poète était qu’il ou elle est le détenteur et le canal d’une voix impossible à interrompre, qu’il ou elle entend ou écoute aussi fréquemment que possible dans sa vie, aussi fréquemment que le veulent les répercussions du monde qui se trouve toujours là, à nos côtés (et le monde est en position dominante sur le poète, dans le Choral). Pour peu que le monde soit « trop présent en nous », la voix peut momentanément être couverte.

L’argument exprimé plus avant est principalement développé dans le dernier essai de The Embattled Lyric: “On Refining a Model of Poetic Production” [« Clarifier le modèle de la production poétique »]. Dans un autre essai du même livre, intitulé “Archeology, Elegy, Architecture: a Poet’s Program for Lyric” [« Archéologie, Élégie, Architecture : programme pour un lyrisme poétique »], je tente d’interpréter le rôle de la production poétique d’un point de vue diachronique. L’essai lie le sujet majeur de la perte d’Eurydice par Orphée avec ce que j’ai décrit en termes de Lyrique comme ce qui se fraie un passage vers l’avant et d’Élégiaque comme ce qui regarde en arrière, pendant le processus de production poétique. J’use de ces termes de « Lyrisme » et d’« Élégie » non pour désigner deux formes ou catégories de la production poétique, mais comme des marqueurs de direction : le lyrique représente la poussée vers l’avant, dans l’activité du poète ; l’élégie représente ces regards vers l’arrière, que le poète doit donner en direction de l’Opus, les deux ensemble étant ce qui permet à un nouveau poème de naître et ce en quoi ce nouveau poème viendra prendre place.

L’histoire d’Orphée – que je considère comme le mythe constitutif de la production poétique – se trouve alors en état de dissémination, elle génère des visions différentes d’Orphée. Je vais en mentionner deux.

La première vision est celle qui voit naître Orphée aux « Origines » – dans le divin monde imaginaire, celui du mythe, de l’Âge d’or. Il sort de l’Hadès et fait ensuite son entrée dans une curieuse eschatologie (sa mise en pièces par les Bacchantes aboutissant à un « Orphée de choix » – la survie de deux seuls éléments, la tête et la lyre) : pèlerinage, divinité et prophétie.

Dans l’autre vision, la naissance et la jeunesse d’Orphée sont occultées par la divinité de ce premier Orphée de l’Âge d’or, de sorte qu’il nous arrive maintenant sur la scène un Orphée historique, « déjà commencé ». Nous apprenons qu’il a épousé une femme, Eurydice, qu’elle a été mordue par un serpent, qu’elle meurt et passe dans l’Hadès. Orphée, tout entier à son deuil et dans l’élégie, se fait Archéologue et descend dans l’Hadès afin d’en retirer son épouse. Ainsi donc cet Orphée n’admet pas l’échec et ne cesse de revenir chez les morts dans son travail de sauvetage d’Eurydice – tout à fait à la façon du/de la poète qui se plonge dans l’Opus dès lors qu’il ou elle veut créer de nouveaux poèmes. Cet Orphée est le poète en tant que producteur de poésie, et sa production est très exactement celle d’un article qui porte le nom d’Espoir : Orphée n’abandonne jamais Eurydice à son sort. Le poète n’abandonne jamais la cause de la poésie.

APARTÉ/{N3} : On dispose d’autres visions du couple : Orphée homosexuel (il aime des garçons ; sa tête et sa lyre sont emportées à Lesbos) ; Orphée et Eurydice, inversés (le ravisseur ravi) ; Orphée épousant successivement plusieurs femmes, dont aucune ne porte le nom d’Eurydice – les possibilités sont très riches et inépuisables.

En ce qui concerne l’Orphée de choix devenu objet de culte, sa tête et sa lyre deviennent prophétiques. J’ai déjà auparavant parlé du potentiel de prophétie de la poésie. Sur ce point, c’est le poète qui a pouvoir de décision. Selon ce qu’il en estime, sa prophétie peut pencher vers l’optimisme ou le pessimisme. Au centre de sa décision se situe le rôle de la présence ou de l’absence de l’article de l’Espoir.

J’en reviens maintenant au sujet principal que je désirais traiter aujourd’hui.

Disciple de Lévi-Strauss, sympathisant du structuralisme et lié durant de nombreuses années à mes devoirs d’enseignement, je n’ai jamais été en mesure de faire plus que de tremper l’orteil dans la vaste mer du post-structuralisme, de la déconstruction et ainsi de suite. Une dimension dont j’aurais aimé faire l’étude de façon prolongée tenait à mon intérêt pour la Théologie Négative, l’Utopie et ce qui s’y rattache, la Prophétie et le Messianisme, ou plutôt, selon le terme de Derrida, la Messianicité, chez un certain nombre d’auteurs, tels que Bloch, Benjamin, Levinas, Derrida, Agamben, entre autres. J’ai eu la satisfaction de voir que certains concepts s’étaient rapprochés de ma propre poésie avant même que j’en prenne connaissance par mes lectures : j’en prendrai pour exemple le concept majeur de Derrida, celui de « Justice ». En particulier à présent, cependant, j’ai jeté un œil, non pas sur les trois énormes volumes de Das Prinzip Hoffnung [Le Principe de l’Espoir] d’Ernst Bloch, mais sur un ouvrage beaucoup moins étendu, un de ces ouvrages qui a fait dire à Frederick Jameson à propos de Bloch, qu’il était le « Théologien de la Révolution » : Atheismus im Christentum [L’Athéisme au cœur de la Chrétienté] (Suhrkamp, 1968). En partie du fait de son style plein de lyrisme, en partie du fait de ses compétences très larges et pénétrantes, ce livre ne laisse pas de fasciner, même s’il a pris de l’âge, même si nous en avons pas mal, et même beaucoup, entendu parler auparavant, et énormément depuis. Il s’agit également d’un présage qui annonce la réunion toujours en accélération, de la poésie et de la philosophie – tout du moins, des philosophies dont je viens de parler – et ce qu’il dit, c’est ce que disait Hölderlin dans une lettre de 1802, et que je tiens depuis longtemps pour son fin mot : « La lumière de la philosophie à l’entour de ma fenêtre fait ma joie ; puissé-je ne pas cesser de la recevoir ainsi ! »

Le travail de Bloch a consisté à porter son attention sur des paires d’opposés apparemment irréconciliables, afin de déceler chez l’un des éléments de l’autre. Dans le livre dont je vous parle, il recherche des éléments d’athéisme au cœur du Christianisme, celui-ci entendu comme un tout comprenant l’Ancien Testament aussi bien que le Nouveau, ainsi que plusieurs textes parabibliques, apocryphes et adjacents. Il développe longuement une argumentation très détaillée sur l’existence d’une vision rebelle, évidemment révolutionnaire, du destin de l’humanité, en examinant l’ensemble de ce tissu énormément varié de textes qui interfèrent. Le cœur de l’argumentation nous dit que le divin a toujours été une illusion régressive et que tout ce qui a pu être pris à tort pour « Dieu » est de fait la création, disons, le Fils « de l’Homme », et non pas quoi que ce soit qui serait un Fils « de Dieu ». D’un seul tenant, cela englobe l’histoire d’un Serpent séditieux, faisant débuter l’histoire des hommes en les expulsant d’une Origine, d’un Eden statique et illusoire ab initio, en passant par le thème majeur de l’Exode hors d’Égypte, puis en notant la découverte par Job que l’homme est plus sage que son « Dieu », et enfin jusqu’à la survenue du Christ. Cette notion extrémiste et centrée sur l’humain du Christ veut que le Royaume qu’il annonce consiste en la destruction totale et immédiate de ce monde-ci, engendrant un changement absolu de l’existence, dans lequel toutes les sortes d’inégalité sont abolies. Alors que ces « églises » fossilisées, qui ne se matérialisèrent jamais, en ont été l’ultime résultat, la position de Bloch, elle, qui se situe dans le matérialisme dialectique et l’athéisme, maintient en elle la croyance en ce-qui-ne-s’est-pas-encore-réalisé-mais-surviendra-à-la-fin. Une solide notation de saint Augustin vient étayer le propos : « Dies septimus nos ipsi erimus, Nous sommes nous-mêmes le Septième Jour. » Ceci nous invite à remarquer, en passant, quelque chose qui concerne les variations dans la définition du temps messianique, dans les ouvrages de certains philosophes contemporains. Elles semblent se rapprocher de plus en plus de la « vie dans l’instant », direction suivie dont j’ai déjà fait mention. Le temps messianique se situe de moins en moins loin d’un avenir apocalyptique et plus soucieux de la vie profane que nous n’en avons auparavant été assuré, même si on ne le reconnaissait pas. Tout simplement, la vie profane doit se considérer différemment. Si quoi que ce soit tend à être élidé, c’est la personne du Messie, lui ou elle – le personnage du poète, lui ou elle, mort-et-vivant, conservant ici sa pertinence.

Quant à la question de savoir si cette idée peut tenter en quoi que ce soit tel individu ou tel groupe, en tant que base permettant de conserver l’Espoir, je la laisse délibérément ouverte ici. Elle ne colle certainement pas avec mes ultimes convictions politiques. Je pourrais souhaiter, malgré tout, en être convaincu, je ne suis pas sûr qu’il en soit ainsi. En attendant, j’ai eu l’idée d’une approche différente de l’Espoir, cette fois-ci sous l’angle de la neurologie. Si vous regardez The Embattled Lyric, vous verrez que j’y discute déjà d’une vision sous l’angle neurologique lorsque considérant un de mes poèmes dont la fin est que le moi qui écrit émet le souhait simultané d’une mort immédiate et de la poursuite de la vie :

Dorénavant, en même temps,
un ardent intérêt pour la face suivante
de la vie – et l’absolu
désir d’en connaître la fin.

Une discussion porte sur ce qui survient dans le Silence en tant que reflet d’une préoccupation humaine de base, partagée par le poète, avec la question primordiale d’« être ou ne pas être ». Dans le Silence, cette question ontologique passe en surface essentiellement en tant que préoccupation concernant l’être ou du non-être du poème traité : préoccupation qui se manifeste lors de la poussée du Lyrique dans son accession à l’Idylle. La question prend des formes diverses : est-ce le bon moment, le moment de la maturité, pour façonner le poème (façonner, comme dans façonner une poterie au tour) ? La préparation en a-t-elle été suffisante ? Le terrain était-il nettoyé ? L’attaque a-t-elle été bonne ? Ou propice ? Faut-il poursuivre ou renoncer ? Et là-dedans incluses, les interrogations sur le souffle du poète, les questions de linguistique ou de substance, de rythme et de tonalité, de jonction et de disjonction, et de l’étendue de la résolution ou non des problèmes inhérents à sa progression que le poème aura à traiter – des problèmes, en bref, en rapport avec toutes les préoccupations majeures qui se font jour dans le champ de la poétique, dans le temps de l’écriture.

Dans le livre d’Antonio Damasio, Looking for Spinoza: Joy, Sorrow and the Feeling Brain [« Recherches sur Spinoza: la Joie, le Chagrin et le Cerveau Sensible »] (Harcourt, 2003), l’auteur, prenant pour point de départ la formule de Spinoza selon laquelle « l’esprit humain est l’idée du corps humain », donne la preuve que les émotions et les sentiments sont générés par l’interprétation que le sujet fait des cartes mentales de l’état-de-son-corps à un moment donné. Le compte rendu de cet état se nourrit dans l’esprit d’un système incroyablement complexe de sentiers sensibles d’humeurs et de nerfs. On parvient au diagnostic surtout par l’examen de la façon dont, si des lésions se produisent dans une partie du cerveau, certains comportements, qui se manifestaient normalement, sont alors proportionnellement modifiés, inhibés ou accélérés. La complexité des voies par lesquelles une normalité homéostatique satisfaisante est atteinte, dans laquelle l’esprit s’efforce de « survivre-dans-le-bien-être », m’a fait penser que le destin d’une œuvre d’art pourrait se trouver lié aux processus de prise de décision qui sont impliqués dans ces opérations neurologiques.

Comment commencer à faire le compte des préoccupations qui se manifestent dans les instants importants où a lieu le Silence ? Tout en haut de la liste, la question de savoir si l’état d’émotion initiale déclenchée, dans la terminologie de Damasio, par un « stimulus émotionnellement compétent » (un poète pourrait appeler cela la gâchette) va apporter suffisamment d’énergie lyrique pour jouer efficacement, pendant que la force du poème lui-même peut être toujours en question. Dans quelle mesure le poème va-t-il résulter de la poussée en temps réel de la gâchette initiale, ou bien dans quelle mesure va-t-il demander un soutien de la part d’un ou d’un nombre important de, mettons, systèmes symboliques ? Dans quelle mesure l’expérience antérieure de cette sorte de gâchette va-t-elle jouer un rôle dans la fabrique du poème ? Ou bien est-ce cette gâchette-là qui va, avec ses propres déterminations, montrer des facettes inconnues, en se révélant radicalement neuve, en requérant un saut probablement à l’aveugle dans quelque chose qu’on n’aura jamais ressenti (à tort ou à raison) comme n’ayant jamais été éprouvé auparavant ?

Dans un livre précédent, The Feeling of What Happens: Body, Emotion and the making of Consciousness [« Le Sentiment du Cours des Choses: le Corps, les Emotions et la fabrique de la Conscience »] (Harcourt, 1999), Damasio parle non seulement du « soi profond », mais également, chez les individus créateurs, d’un « soi autobiographique » (« ce sens d’un passé personnel et d’un avenir anticipé, qu’on nomme également la “conscience étendue” »), et son analyse m’a permis de considérer cette « conscience étendue » comme particulièrement adaptée à ce que j’ai nommé « prophétie », dans le contexte de la poésie. Et de relier cette idée avec le sentiment que pour un membre de l’espèce poète, la survie de la poésie est en fin de compte en relation avec la survie de l’humanité et que c’est une partie de la propre survie du poète de croire en la possibilité de la survie de l’humanité. Dans l’essai Exile out of Silence [« En exil du Silence »] (inclus dans The Embattled Lyric), j’ai écrit qu’« un fort sentiment d’échec de la poésie chez le/la poète au sein de sa communauté peut mener, et mène en effet, au suicide. Kenneth Rexroth a remarqué un jour : « …presque tous les poètes majeurs d’une sombre époque dans l’histoire de l’Amérique se sont suicidés. Et pour nous, en notre temps, le sujet extraordinairement complexe du “suicide” rimbaldien continue à nous hanter. »

Du point de vue de l’anthropologie, j’ai ensuite observé que le Vocal était impliqué, lorsqu’il agit en communauté, dans une réciprocité de soi à l’autre ; le Silence, lui, met en avant la réciprocité de soi à soi, et le Choral n’implique pas de réciprocité – puisque là où il y a un soi personnel il y a l’autre mais là où il n’y a pas de soi, il n’y a pas d’autre. J’ai poursuivi en me référant, anthropologiquement, à l’aspect le plus important de l’interaction dans le groupe – coopération en opposition à conflit – et en me demandant ce qu’il arrive lorsque le Vocal, qui est principalement conflictuel, rejoint le Choral, qui est principalement coopératif, dans le Silence. Le Choral, avec sa non-réciprocité, implique le tout, la totalité. J’en ai conclu que les considérations de survie signifiaient que l’allégeance au Choral primait en fin de compte sur l’allégeance au Vocal, et que la collectivité sociale gagnerait par conséquent sur le carnage, dans le champ de bataille. Le Prinzip Hoffnung tendrait donc dès lors à triompher.

Un aspect plus conséquent de cette même idée est que le Vocal est en relation étroite, au niveau topique, avec la nécessité du Choix (de telle partie plutôt que de telle autre, d’un soi plutôt que d’un autre) alors que le Choral est pénétré d’une passion opposée à tout choix, d’un désir constant de Totalité, qui touche à la messianicité si vous voulez, à ce que la civilisation chinoise appelle les Dix-Mille Choses et à ce qui, en fin de compte, touche à l’adoption d’un idéal de non-soi. Pendant que, pour l’Évolution, le Choral prime sur le Vocal, pour la Poétique, le cas s’inverse, et c’est le retour du Processus dans la Structure qui, en fin de compte, implique le Choix. Le sentiment du « mourir maintenant/ne jamais mourir » résulterait alors de cette opposition et de l’extrême difficulté de parvenir à une forme quelconque d’abdication du soi dans l’état de non-soi. Mourir maintenant : le soi peut sombrer en se mettant au pouvoir d’un autre soi. Vivre à jamais : le soi ne peut pas sombrer dans le non-soi. Dans le même souffle, si la vue demeure une valeur, la mort qui remporte ici la victoire aboutit au triomphe du collectif sur l’individuel et de la poésie sur sa disparition. Le/la poète à présent sous-tient le monde, il sait qu’il ou elle doit lui apporter son soutien. Hölderlin avec son Was bleibt, stiften die Dichter (Ce qui tient, ce qui demeure, le poète le fonde, l’établit, l’institue) est cité par Agamben dans son Remnants of Auschwitz [publié à Stanford en 2002 ; Ce qui reste d’Auschwitz, en français chez Rivages, 2004] et il fait ici autorité. Ce qui demanderait d’aller plus loin et plus longuement, c’est la Dichtung de Heidegger en tant que production, en particulier dans l’hymne de Hölderlin, Der Ister, [« Le Danube »]. Dans ces sens-là, je vois la poésie comme parfaitement mitoyenne avec l’Espoir. Poésie égale Espoir.

Quittons Damasio. Je veux maintenant porter mon regard sur une proposition plus simple, qui touche à une question soulevée, dans un petit compte rendu, par l’ouvrage de Tali Sharot, à l’University College London’s Wellcome Trust Center for Neurology, avec un commentaire de Daniel Schacter & Donna Rose Addis du Department of Psychology, de l’Université d’Harvard.

Le cerveau humain, selon les résultats de ce travail, apparaît comme instinctivement optimiste. L’évolution a peut-être établi les connexions dans notre cerveau de façon qu’il soit résolument optimiste, même en ayant à affronter une violente épreuve – la plus amère de toutes étant, bien entendu, la reconnaissance réaliste de l’universalité de la mort. Une série d’expérience portant sur les attentes des individus lorsqu’ils ont à faire face à un certain nombre de situations hypothétiques, passées, présentes ou futures, semble indiquer que l’activité, à l’intérieur de deux régions limbiques du cerveau – le cortex cingulaire rostral et l’amygdale, offre des comportements positifs plus que négatifs, de sorte qu’un cerveau humain en bonne santé peut être considéré comme fondamentalement optimiste, plutôt que réaliste. Dans des époques défavorables, les humains, en moyenne, peuvent attendre des choses qu’elles tournent mal dans le monde, mais l’optimisme, en privé, concernant l’avenir, intime à la personne de considérer que les choses se termineront mieux qu’elles ne se présentent en étant ce qu’elles sont. L’optimisme privé protège et nous procure de l’exaltation, et il nous permet de tenir pour avancer – d’où sa relation appréciable avec l’évolution.

Il n’y aurait pas lieu ici pour moi d’entrer dans les détails des expériences scientifiques qui amènent à cette conclusion – même si j’étais moi-même un savant en sciences exactes plutôt qu’un ancien savant en sciences sociales. Je pense que je suis à même de voir les résultats d’une telle étude dans ce que j’ai appelé la poussée lyrique – poussée qui rend possible la croyance en une activité qui est aussi isolée et apparemment sans conséquence que le Vocal. Mais qu’en est-il si un certain nombre de circonstances influençait une vision négative du possible, dans le Choral ? Inter alia, parmi ces circonstances, au sens statistique, un effondrement évident des voies par lesquelles la Poésie a été produite dans le passé ; une surproduction potentiellement dévastatrice de gens croyant qu’ils sont poètes en un temps où nombre de gens qui se croient lecteurs sont eux-mêmes surproduits ; un changement démesuré dans les technologies impliquées dans la dissémination de la poésie, dans les arts en général et, bien entendu, dans tous les produits culturels. Si l’on suit cette idée, tout de nos jours, tout notre passé, semble exister sur l’autre versant de l’Espoir. Et si nous nous en référons à la proposition de Theodor Adorno, selon laquelle « après Auschwitz, écrire un poème est barbare » comme à l’interprétation de notre temps qui doit nous servir de guide, le paradigme à maîtriser pour aboutir à une foi quelconque en l’horizon messianique offert par la politique, la vie passe elle-même tout entière sur cet autre versant.

J’ai toujours estimé impossible de s’occuper de matières propres à la production esthétique – inter alia en littérature, dans les arts ou la musique – sans déclarer qu’une telle production est sujette au fiat poétique. Par là, j’entends le poète lui-même (la figure de l’artiste en général) lorsqu’il agit en être radicalement libre qui s’est fixé sur une idée, l’a présentée, l’a promulguée si vous préférez, et voilà ce qu’il en est, voilà tout. Le fiat gouverne en tant qu’image motrice de l’Espoir, de la Liberté, du Pouvoir-Choisir, en tant qu’action au sens absolu, inconditionné, sans relation (pour peu que le poète le désire) avec aucune Philosophie donnée, ni Vision du monde qui lui serait étrangère, sans relation avec quelque mode que ce soit d’être ou d’action-production que l’être et la production en question à tout moment de la création. Voici donc, à l’évidence, le couronnement de tant de communications essentiellement politiques – une vision de la poésie comme en permanente opposition – surgissant de l’époque à partir de cette croyance-ci : le domaine esthétique a pour unique but sa seule indépendance, à l’encontre de Pharaon (ou César), pour Bloch, et à l’encontre de toute divinité, agissant ainsi à la place qu’avait la religion. Parmi les termes employés par Adorno, j’ai relevé ceux de « la migration de la théologie dans la sphère du profane », l’acceptation du passage éphémère absolu de la vie, qui élimine la distinction entre les deux catégories du « sacré »  et du « profane ». Je traite d’ores et déjà les poètes comme une espèce à part – ce statut, le monde ne nous l’accorde jamais, et nous pouvons très bien dès lors nous l’accorder.

APARTÉ/{N4} : Je serais intéressé par une histoire de la notion d’un royaume esthétique autonome et du statut social régnant de la poésie pendant la période des Dynasties du Nord et du Sud en Chine, entre 220 et 600. Ceci en relation avec la notion du zi ran, traduit par le self-so (Mark Lewis) [« ainsi-soi »], en un monde de génération spontanée naturelle d’entités. (5)

Dans notre vie actuelle, pourtant, l’énorme faille s’élargit de plus en plus entre cette position et la réalité des choses. Il existe une distance de plus en plus infranchissable entre l’Espoir et la possibilité, la « potentialité » – le souhait d’un guide véridique, qu’on trouve dans le discours d’Agamben. Je pense que n’est pas tout à fait une coïncidence si une philosophie du « comme si » dans la production culturelle et poétique a, depuis déjà longtemps, prédominé dans ma vision de l’action. Comme s’il était encore possible de vivre, de respirer – même dans la mort. Relever cette position du « comme si » peut être l’ultime rêve de veille du fiat. Voir la production de poésie comme celle de, disons, quelque forme de Fiction Suprême (pour parler comme Wallace Stevens), cela permet une certaine continuité de foi dans le travail, qui consiste non seulement à donner du plaisir, mais à quasi-religieusement consoler le lecteur et peut par conséquent être vu, dans une veine romantique sans honte puisque le Romantisme n’est pas encore parvenu à son terme, comme le dernier « devoir », la dernière « responsabilité humaine ». La plupart des philosophies pessimistes concernant l’avenir humain – qui vont jusqu’à atteindre, ou sombrer dans, des formes diverses d’absurdisme – ont conservé une sorte de continuité dans la fonction d’humanité, au moins en dernier ressort. Que ce soit dans quelque version d’une politique messianique ou en trouvant un réconfort dans une orientation optimiste de l’activité du cerveau, la fonction ultime de la poésie, en tant qu’activité modestement orientée vers le salut, peut se survivre, et on peut stoïquement en faire un objet de foi. Je persiste dans mon opinion : symbole d’Espoir, de Liberté, du Pouvoir-Choisir, on peut d’évidence constituer la Poésie en absolu de la Conviction.



(1) « estité » : ce terme rend le isness du texte, soit le composé du verbe « être » à la troisième personne du singulier et du suffixe indiquant une qualité intrinsèque. Nous empruntons la traduction de ce concept à la version du Récit historique sur l’hérésie et son châtiment de Thomas Hobbes par Philippe Folliot : « ...En effet, en vérité, [le mot] essentia n’a pas plus de sens que le mot estité si nous l’utilisions de façon ridicule pour désigner le fait qu’une chose est. » (NdT)

(2) Cet essai, paru à Stanford en 1993, traite de la fin du poème à la fois comme point de crise et comme structure fondamentale de la poésie. (NdT)

(3) Le terme de khôra, dans le Timée, désigne un « réceptacle » (traduction de La Pléiade : « Avant la naissance du ciel et des éléments, il faut supposer une sorte d’être, difficile et obscure, ni sensible ni intelligible, réceptacle et nourrice : la khôra. ») ; Derrida (in Khôra, Paris, 1993, Galilée ; originellement paru à l’Université de Stanford), cependant, le définit comme le « rien », le « tout autre », un non-lieu, une place dont tout objet est le fantôme. (NdT)

(4) Il s’agit d’une partie du H.D. Book, récemment et enfin paru en son entier (University of California Press, 2011) – ouvrage essentiel à la compréhension des phares de la poésie américaine : H.D, Ezra Pound, W.C. Williams, Charles Olson… (NdT)

(5) Le zi ran est ce que nous appelons, en traduction française courante, la « voie de la spontanéité ». (NdT)




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Traduction en français © Auxeméry
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