Par la fenêtre d’un roman
Ce jour elle fut d’humeur fenestrière:
rien que de regarder il lui semblait vivre.
Rainer Maria Rilke
1.
Je ne sais même pas mon nom.
Si j’en ai un.
Mais je suis ici
et je suis là-bas,
poète américaine
qui habite un roman français
où la pluie, le trafic,
le vent même susurre et cesse
de cette façon distincte si difficile pour moi
à mimer ou comprendre,
mais qui m’apaise.
J’ai dit à l’auteur du roman, Anca,
de regarder à travers les fenêtres
des maisons en grès rouge de New York.
J’ai toujours aimé observer
la façon dramatique dont les objets
y sont disposés, exposés.
Comment dans l’une, un perroquet se perche sur un globe ;
dans une autre, la courbe d’un piano rayonne sombrement.
Une fois un marchand d’art m’accompagnait
qui reconnut, d’un regard furtif au-dessus de l’abat-jour,
le rouge sang du coin d’un tableau qu’il avait vendu.
Anca a dit : « Merci pour les fenêtres !
Elles trouveront sûrement leur chemin dans mon livre,
et tu seras derrière l’une d’elles
à guetter un poème.»
Puis elle est rentrée à Paris.
2.
A vrai dire, je ne passe pas beaucoup de temps (si peu que pas)
à regarder par ma fenêtre à moi.
Il me manque une vue, un horizon, et ce qui vient avec
coup d’œil sur un arrêt de bus, solitaire à 3 du matin,
un trio de mannequins sans tête attendent comme si de rien n’était
dans la vitrine d’une boutique de l’autre côté de la rue.
Je crois que je préfère regarder plutôt dedans que dehors.
Peut-être c’est pourquoi je lis des romans.
Je n’ai jamais écrit un roman, mais si ça m’arrivait je suis sure
qu’il commencerait avec une femme qui de sa fenêtre
répond à mon regard.
3.
Le monde
inconnu :
un passant.
Les fenêtres :
un diaporama
pour étudier la culture.
O ouvertes ou fermées
pourquoi je n’ai de cesse à y retourner ?
Je vous vois fenêtres
comme mes protagonistes.
4.
Chère Anca,
C’était sympa de te rencontrer et vivre brièvement
dans ton roman. Il me tarde de le lire
pour découvrir ce qui m’arrive encore (ou pas)
à moi à tout le monde.
Voici le poème que mon personnage a écrit.
Il s’intitule « Anon » comme dans anonyme,
mais aussi comme dans j’espère te revoir bientôt.
*
Les nuits
des tirets bleus
gobent la distance
entre nos journées.
Fenêtres
empilées
comme des crêpes
tartinées
de lumière.
Je marche dans
ce qui fut,
est presque
feutré
tournant le coin
comme une page,
la page
comme un coin.
Maintes fois nous nous sommes
ainsi
rencontrées sans nous rencontrer,
à quelque intersection
cornée,
chacune à la recherche
des mots justes
pour colorer ou vibrer ;
étrangère ou amie.