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1.
Voilà Un Ange Étrange !
Tout NOUVEAU, cet ange, & dernier cri !
Ergots de poulet pour pieds et plumes pour doigts,
une parfaite volaille.
Ailes à manches-raglan,
et mine-à-chagrin-manga, hmmmm.
Lui. Elle. Ça. Eux.
Ange ou nov-angel-us.
Construction angulaire,
pointes-à-picot mi-savant pièces d’un puzzle à lui
triangles, églises, lames de couteaux
et /ou montagnes.
Tri-âges. Une ligne de fils, l’ombre
de son double-moi demi-teinte.
Il est là, toute clarté. Il est là, tout flou.
Son visage : une bobine, ou un lion peut-être
avec un museau intelligent.
On peut penser, force et courage évidents,
que les choses vont très bien tourner.
Mais l’animal a des yeux qui dévient,
le droit biaisé,
de traviole le gauche
glissant vers là où
le restant se brouille.
Il est votre corps de peur.
Il est votre corps d’effroi.
Les yeux lui sortent de la tête.
Paupières s’élargissent et pupilles se dilatent,
cheveux se hérissent, muscles vibrent.
Il tremble, mais reste fixe.
Son regard porte
sur les mauvaises extrémités
de bâtons liés ensemble.
2.
Il existe un tableau de Klee qui s’intitule Angelus Novus. Il représente un ange qui semble sur le point de s’éloigner de quelque chose qu’il fixe du regard. Ses yeux sont écarquillés, sa bouche ouverte, ses ailes déployées. C’est à cela que doit ressembler l’Ange de l’Histoire. Son visage est tourné vers le passé. Là où nous apparaît une chaîne d’événements, il ne voit, lui, qu’une seule et unique catastrophe, qui sans cesse amoncelle ruines sur ruines et les précipite à ses pieds. Il voudrait bien s’attarder, réveiller les morts et rassembler ce qui a été démembré. Mais du paradis souffle une tempête qui s’est prise dans ses ailes, si violemment que l’ange ne peut plus les refermer. Cette tempête le pousse irrésistiblement vers l’avenir auquel il tourne le dos, tandis que le monceau de ruines devant lui s’élève jusqu’au ciel. Cette tempête est ce que nous appelons le progrès.
Walter Benjamin
3.
Demander dans quelle direction
souffle le vent
n’est pas une blague des années 60.
C’est dire qu’il vient d’un « Paradis »
qui génère du néant, mais
en l’aspirant à rebours vers l’avenir.
Demander de quelle manière
ses ailes finiront par se fermer
n’est pas une blague de plus.
Le néant fait son lit
dans le même quartier
(tout en face) que le Paradis.
Après déflagration, quel emmerdement ?
L’avenir sera-t-il identique
à ce passé réduit à néant ?
4. Questions, réponses
Qu’est-ce qui détient le pouvoir ? Une tourmente.
Une Surtension. D’où venue ? Du
Paradis ! Et où se trouve ce Paradis ? Oui question !
vient-il vers l’avenir, ou se terre-t-il dans le passé ?
« Paradis », est-ce le but au devant de nous
ou l’arrière-plan théologique ?
La Volonté messianique dit que le « Paradis » (sa lueur)
va se manifester : quant à l’avenir, c’est la totale.
Le Paradis, c’était (joli jeu de paillettes)
jadis la demeure de l’ange, ce Paradis-ci
est moderne et soulève des tempêtes.
Ce n’est pas un lieu de paix, mais de tumulte.
Comment est-ce possible ? Toute image est-elle fausse ?
Le Paradis, est-il le Malin ? L’Ange est-il Impuissant ?
Ces dénominations sont-elles obsolètes, éventées, sans intérêt ?
Voilà ce que nous en saisissons, et congelons : thèse, antithèse,
paralysie.
5. À l’identique, ou presque
Pourquoi cet ange a-t-il de moindres pouvoirs que nous ?
Nous voyons là « événements en chaîne ». Lui, des « restes ».
Nous considérons une liaison narrative.
Lui, il a la perception d’une « catastrophe ».
Pourquoi le désastre est-il apparemment invisible ?
Je précise : non apparent dans le tableau.
Tout a-t-il glissé dans le tournoiement du tourbillon
d’une tornade de fête foraine qu’on appelle « histoire » ?
Au royaume des anges, pas de logique ? Réponse : oui-non ?
ni cause ni effet, rien de syllogistique ?
Comment se figurer les motivations des anges ;
et puis comment les contrecarrer ? Et par quel moyen ?
Un ange, ça voudrait rester en place, sa mission
étant d’instituer la justice par céleste fission.
En tout état de cause, son destin est de planer
paralysé au dedans de cette obscure déperdition :
laquelle est Tout ce qui Arrive quand les vents
du prétendu Paradis redoublent de Force.
6.
Il n’y a pas là exactement une image,
c’est un monotype, tirage unique.
Surtout pas destiné à illustrer
mais pour nous mettre en parallèle, nous faire voyager ensemble.
Ces glyphes sont monotones comme les formes du destin.
Livres de comptes
registres illisibles
rapports d’hébétude
ayant à peine le temps de liquider
leurs horribles déchets
avant que n’en arrivent d’autres.
Les enjeux sont élevés.
Toujours été le cas.
Presque-irreprésentable : tout est ainsi.
C’est pourquoi on pourrait dire
que le glyphe de Benjamin issu de Klee
est « illogique ». Si on ne peut le représenter,
tant pis. Mais la blague est là.
Elle est ce qu’elle est, un J’SUIS/J’SUIS
collé au fond de la gorge.
Et donc, on ajoute quoi à tout ça ?
Qu’ils mangent de la brioche.
Et qu’ils s’en étouffent.
7.
Voilà des cendres, voilà le blaireau
lorsqu’on le mène à bout.
Irréductible, implacable,
inadéquat, intelligent,
pas assez, jamais assez
mais suffisamment après tout,
bien assez pour être insupportable.
Déjà « ruines ». La ligne
se tend. Les mots « justes »,
arrive-t-on à les soupirer ?
À les soutirer ? Tessons
sur la pile de tessons en témoignent.
8.
Mon vocabulaire, ça n’est pas lui qui aura
contribué à me tuer.
Ce sont les constats faits.
J’ai vu une ampoule à incandescence qui avait des ailes d’ange câblées sur elle et « de style » un joli luminaire de designer à-prix-en-rapport. Mignon tout plein. Une vieille ampoule ordinaire, avec quelques plumes blanches. Presque un truc de dessin animé. Mais c’était véridique.
Les anges ont-ils de l’argent ? Pas si vite ! La question n’était pas là. Mais je n’arrivais pas à lire mon gribouillis. C’était : « Les anges ont-ils de la mémoire ? ». Juste une notation, tout droit sortie de Dante. Un désir de lumière, d’intense clarté, par rapport à notre diurnalité. Ils ne pénètrent pas dans les ténèbres ? Sauf quand on les envoie en mission. Et puis ils n’y restent jamais.
Mais qui se soucie vraiment des « anges », sauf qu’on vient de passer quelques heures dans un tout autre musée. Bien qu’il soit agréable de les voir se balader autour du monde dans l’imagination de diverses cultures ces charmants et gracieux androgynes dont les plumes des ailes sont parfois couvertes d’yeux. S’ils avaient autant d’yeux et toutes ces rayures arc-en-ciel, ils n’ont probablement pas besoin de mémoire ni d’argent.
Ils transmettent simplement le message qui leur a été transmis. Un type a tweeté : Ne bombardez pas la Syrie ; tapez sur la Russie à la bombe à paillettes. Vous vous rappelez ? C’était à un moment typique.
De plus, je viens d’apprendre quelque chose sur le mica. Il est extrait presque exclusivement par des enfants de moins de 12 ans. En Inde. Et souvent extrait illégalement. Jusqu’où cela nous entraîne-t-il ? Ou plutôt, dans notre partie à nous, de notre monde collectif : jusqu’où cela entraîne-t-il tout-un-chacun ?
9.
Nous vivons au milieu de dossiers
un nouvel arrivage tous les jours, vital
d’avoir de la documentation sur ceci ou cela
de ce qui se passe sous nos yeux.
D’où, une poésie qui ne soit pas seulement
de la « poésie » me faut-il ici en donner
la formule ?
Nous sommes en état d’alerte énergétique,
en rogne d’attendre un éclairage en mode qwik
et donc les pôles
se déportent de dégoût,
régressent, pratiquement électrocutés de désespoir
puis ranimés, coups de force, puissance accrue
plus insondable impuissance.
Notre ange était autrefois ancré dans la clarté de ses buts
et grandissait dans la lumière
mais cette marque d’ange a décliné,
retirée du marché,
violemment arrachée, soumise à torsion,
arrachée à la racine,
dans un sol mouvant et sous des vents puissants.
L’ange s’est alors retrouvé
balancé là profond une fois rentré au bercail.
Éjecté, et jeté
hors.
Il s’est décati, dépenaillé et pris de frayeur,
et donc il a regardé
comme nous, nous faisons.
L’Ange-Nous.
Oui,
voilà
la
formule.
10.
Un projet est un désir qui se modifie
lui-même en avançant, filant
les noms qu’il pensait avoir, traçant
les mots derrière les mots
qui sont le seul moyen de savoir.
Vivre parmi des citations fait
exégèse de toute chose, ennoblissant solennité et
convergence.
On rabaisse l’inclinaison du rouleau de parchemin.
Interpréter est un mode de clarté,
et peut-être (très vaguement)
de la révérence.
Destin fixé.
11.
Nous vivons en nomades
insatisfaits.
Par conséquent je suis la philologue de la trace
et je ne suis pas je,
bonjour au revoir.
Lire une trace, c’est une violation ;
ne pas la lire dé-valide tout ce qu’un signe pourrait offrir.
Nous avons devant les yeux une pléthore de textes.
La trace est une tache de temps historique mis à plat.
Une souillure espaces fermés de haies
avec la graisse dure-à-lessiver d’une infinité de
détestables politiques. Écologies foutues.
Ou « contestées » jusqu’à rupture.
Les gens comme les chiffres mais
indéchiffrés,
ils ramassent des tessons
rejetés par le cataclysme
et se retrouvent au milieu de ces débris en miettes
et parlent par la voix des morts
alors ? alors ? alors ? Ils disent quoi ?
Rien. Toujours rien ?
Au-delà de ce sublime-là, y a-t-il quoi que ce soit ?
Quelque chose. Pour cela il n’existe aucun
genre, mais des pressions axiales sur les mots
à partir des mots
qui soufflent en rafales à chaque tour
tels de mini-anges.
Le temps d’à présent est d’évidence ; c’est la source.
Crispé, inquiet, particulièrement distordu et effaré,
comment dès lors s’engager ?
Afin de rassembler tout notre néant en tant que force,
et entrer une fois de plus dans le tunnel obscur de notre temps.
Ce locus classicus de la modernité est tirée du travail de Walter Benjamin, en 1940, « Sur le concept d’histoire, » trad. Harry Zohn, in Walter Benjamin, Selected Writings , Vol. 4: 1938-1940. Cambridge: University of Harvard Press, 2003 , 392-93. Une traduction antérieure d’Harry Zohn était parue sous le titre de « Thèses sur la philosophie de l’histoire », dans Illuminations, avec une introduction d’Hannah Arendt, New York: Schocken Books, 1969, 257-58. L’essentiel de la traduction est identique ; on relève le choix de mots légèrement différents et une variation d’accents syntaxiques. (NdT : Nous avons utilisé en français la version courante tirée de : Walter Benjamin, Sur le concept d’histoire IX. Œuvres III. Traduction : Maurice de Gandillac. Folio Essais, p. 434.) [RBD]
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