alligatorzine | zine
242
/
Auxeméry Ce portulan

Süß ists, zu irren
In heiliger Wildniß...


CE PORTULAN                               marcheur immobile
                              il t’a fallu l’inventer

          voir de cet œil des lointains                     voir mais voir
                    depuis ta chambre obscure
                    à la croisée donnant sur le Neckar
                              ces fleurs
                              & ces ailes
                              & ces palmes

          il aura fallu instaurer une telle distance
          pour qu’un dieu s’installe au cœur de ta parole

          une parcelle de temps divin qui s’appellerait
          printemps pour jamais

                    afin d’habiter cette terre

          — le poème étant le lieu même où tous les fleuves
          naissent pour irriguer les montagnes & nourrir l’océan —

          & qu’une carte d’un seul regard de haut comme de loin
                    couvrirait

                    vision de l’œil du migrateur
                    passant les citadelles & abordant
                    au gîte sans pesanteur —

cependant Colomb parti de Gênes n’a jamais vu Tinian
& des falaises je vois, moi, des corps se lancer dans le vide
& les palmes griller sous la langue des lance-flammes

                              camera obscura
                                    la tour

O mein Herz wird / untragbarer Krystal an dem / das Licht sich prüfet

          Empédocle soudain à l’abîme & Sémélé confiant à la mer
                la caisse de bois où repose le corps de Dionysos






Süß ists, zu irren
In heiliger Wildniß...
Ce sont les premiers vers du poème de Hölderlin, intitulé Tinian, dont la traduction pourrait être « Douceur d’errer / Dans la sainte Solitude » (Wildniß correspondant en gros à wildness anglais, « désert, contrée sauvage »...)
Tinian est un ilôt des îles Mariannes du Nord, dans le Pacifique. C’est de là qu’est partie la bombe qui a rasé Hiroshima ; lors des batailles du Pacifique, on vit des civils japonais se jeter du haut des falaises pour échapper aux Yankees.
La formule finale est extraite de Die Apriorität des Individuellen, citée par Jean-Pierre Lefebvre, in Hölderlin cartographe, Hölderlin photographe : « Ô mon cœur devient / cristal atroce sur lequel / s’éprouve la lumière ». [
Revue germanique internationale, 7, 1997]
/
Auxeméry vit au bord de l’Atlantique. A visité des déserts, souvent, ou des ruines, séjourné en Afrique ; en est revenu. Dernières publications. Poèmes : SELECTED POEMS, translated by Nathaniel Tarn, World Poetry Books, Storrs, Connecticut, 2021 ; Détritus, Estepa Editions, 2020 ; Failles/traces, Flammarion, 2017. Traductions : Ezra Pound, Anthologie classique définie par Confucius, 2nde édition, R&N, 2023 ; Hilda Doolittle (H.D.), Hélène en Égypte, édition augmentée d'une biographie, et des ‘Notes préliminaires en vue du Livre 3 du Livre de H.D.’ de Robert Duncan, Série américaine, Corti, 2022 ; James Joyce, Les Bœufs du Soleil, Le Corridor Bleu, 2022.
/
www.alligatorzine.be | © alligator 2024